Poussez-vous, je dois marcher vite !
Tout vient à point, à qui arrive à choper le métro à temps.
Je monte les marches du métro deux par deux, puis je descends l’escalator quatre par quatre, bien qu’il soit en marche. Je dépasse un couple de touristes qui essaye de se repérer avec le plan du métro. “Un plan en papier ? Sérieux ?” me dis-je en évitant une poussette qui me fonce droit dessus, avec un père au téléphone en guise de conducteur. Une bagnole de F1 ou une poussette ? Personne ne sait.
J’entends le ronronnement des wagons qui arrivent à quai, comme un gros ours qui arriverait dans le jardin d’une maison au Canada. Oui, il paraît que y’a beaucoup d’ours là-bas, et que les gens sont gentils. J’accélère le pas, je vois mon lacet défait, mais j’ai pas le temps pour ces conneries. Je cours presque, mais pas totalement, parce que je trouve que c’est la honte de courir hors d’un contexte sportif ou de survie. Par exemple, s’il y avait un ours qui me coursait, là, ça serait une bonne raison de courir. L’alarme retentit, j’vais pas le rater, ok ? Je saute à pieds joints telle une athlète de saut en longueur, j’écrase le pied de quelqu’un en atterrissant. C’est bon, j’ai réussi à l’avoir, je suis dans le métro.
Pendant que je reprends mon souffle, tout en constatant que tout le monde me regarde avec beaucoup de jugement, surtout le mec en costume Celio dont je viens d’écraser le mocassin, je me demande : mais pourquoi j’ai couru en fait ?
Pressée d’aller nulle part
Depuis que j’ai la nécessité de me déplacer fréquemment dans Paris, j’ai remarqué une chose étrange, je suis toujours pressée. Je dois aller d’un point A à un point B, et il faut que ça se fasse aussi vite qu’un plat surgelé au micro-ondes. Je me retrouve à me dépêcher dans les couloirs puants du métro, alors que la seule chose que j’ai prévue, c’est rentrer chez moi pour regarder “Le Meilleur Pâtissier”. Ça peut attendre un peu, non ?
Eh bien non, parce que contrairement à mon salon, dehors, y’a pleins de gens avec qui je n’ai pas envie de dealer. Il faut que ça passe vite. Car ils vont me foncer dessus, ou regarder TikTok sans écouteurs, ils vont pas me tenir la porte à la sortie d’une station. Les gens, les gens, les gens… sont fatigants. Mais c’est facile de reporter la faute sur les autres tout le temps. La vérité, c’est que je suis loin d’être la personne la plus zen pendant mes déplacements devant aller à la vitesse de la lumière. À vrai dire, je suis aussi détestable que les autres. Je souffle si le métro prend trop de temps à redémarrer. Je m’énerve si on est en heure de pointe et qu’un sac à dos se colle à mon visage. Vous avez pas vu la publicité de la RATP qui disait d’enlever son sac à dos, merde ! C’était pourtant de l’argent très bien dépensé cette campagne, plutôt que de finir les travaux de la station Châtelet. J’espère que vous saisissez l’ironie.
Ralentis, non d’un ours !
Y’a quelques années, j’ai trouvé la solution pour ne pas m’agacer les foules de Parisiens qui me bousculent dans le couloir entre la 11 et la 4. Il faut ralentir. Comment j’ai compris ça ? Pas en faisant un stage de développement personnel. À cause d’une opération à la jambe, j’ai été obligé de marcher aussi rapidement qu’une vieille dame de 90 ans pendant plusieurs semaines, et j’ai réalisé que le stress ambiant de la ville ne m’atteignait plus. Ne pas rentrer dans l’absurde cadence de Paris m’avait permis de passer des trajets bien plus sereins.
“Oui, mais Eva, ça se voit que toi, tu prends pas le RER B à 7h42, et que même si tu le faisais, tu t’en foutrais de le rater, alors que le suivant est dans 12 minutes.” C’est vrai. J’ai pas dit que j’avais une solution, surtout pas pour le RER. Et j’ai encore moins de solutions pour les personnes qui sont incapables d’être à l’heure. Mais je pense que s’obliger à aller lentement dans un monde qui va vite, c’est être anti-capitaliste en fait. Vous sentez que je ne sais pas trop comment conclure ? Ça tombe bien, vous êtes arrivé à votre station ! Allez, à la prochaine.